Pascal Denoël, patron et aventurier à la fois, Success Story
Comment arrivez-vous à concilier votre désir d'aventure et la direction d'une entreprise ?
Que ce soit cet été en Islande, dans la traversée à pied de l'île du sud au nord, ou dans mes multiples expéditions aux quatre coins de la planète, je recherche à chaque fois à me dépasser, à «challenger» mes limites physiques et surtout mentales. Si ces aventures répondent à une quête personnelle, je le fais également pour inspirer mes collaborateurs. A chaque fois, un drapeau aux couleurs de mon groupe couvre mon sac à dos.
La médiatisation de ces expéditions a aussi pour objectif d'accroître la notoriété de mon groupe et de transmettre un message à mes fournisseurs, à mes clients. Je leur démontre que notre groupe possède des valeurs fortes, que nous savons affronter les difficultés, que nous sommes fiables dans la durée et donc dignes de confiance. Plutôt que de signer un chèque pour sponsoriser un évènement sportif, je préfère « mouiller le maillot » et donner l'exemple
En mai dernier, vous souhaitiez escalader l'Everest. Vous en avez été empêché en raison des mauvaises conditions météo. Une déception ?Oui, je suis horriblement déçu. Afin de corser l'exercice, je voulais escalader cette montagne mythique sans oxygène. Les décideurs locaux nous en ont empêchés alors que j'étais prêt à prendre mes risques, même si je suis loin d'être un casse-cou, un irresponsable. Je suis d'autant plus déçu que mes collaborateurs m'avaient chargé de déposer au sommet - 8.849 mètres d'altitude - un petit monolithe de glace de 400 grammes, un « objet » totalement respectueux de l'environnement, donc gravé d'un message à portée universelle.
Comment est née cette vocation d'aventurier ?J'ai toujours été très sportif. Jusqu'à mon adolescence j'ai pratiqué le handball à un très haut niveau à Nantes où j'ai grandi. Je courais, sans entraînement - 11 secondes aux 100 mètres. Le handball m'a enseigné le sens du collectif et le courage physique, des qualités bien utiles dans l'univers de l'entreprise. Ultraperfectionniste, depuis cette époque, je fais attention au moindre détail, à l'instar des sportifs de haut niveau dont j'aurais aimé faire partie.
PORTRAIT - Pascal Denoël, dans l'Himalaya, au nom de ses équipesEn 2005, en effectuant un trek avec un ami dans le Hoggar, un massif montagneux dans le sud de l'Algérie, j'ai eu une révélation. C'était juste après mon divorce. J'étais au fond du trou. Ce contact avec les grands espaces m'a revigoré, m'a fait me sentir pleinement citoyen du monde. Depuis j'ai enchaîné les expéditions, les escalades dans les endroits les plus escarpés de la planète.
En 2015, votre expédition au pôle Nord représente un moment que vous qualifiez de décisif dans la construction de l'identité de votre groupe ?Effectivement. Je voulais faire de cet événement l'acte décisif de naissance officiel du groupe ZeKat. Je suis parti onze jours en expédition avec un ami, en dormant sous la tente, sur la banquise au milieu de rien. Ce fut une expérience fantastique. J'ai malheureusement pu constater in situ les effets désastreux du réchauffement climatique, avec cette banquise fracturée à bien des endroits.
J'en ai tiré un film que j'aime montrer dans les conférences-débats auxquelles je suis invité. Cette expédition m'a inspiré les cinq valeurs de mon groupe - Audace, Engagement, Performance, Collectif, Humilité -dont je suis le gardien du temple. A chacun de mes collaborateurs, j'aime demander. « Et toi c'est quoi ton pôle Nord ? » Ainsi je les aide à vivre leurs rêves au lieu de rêver leur vie comme le professait le grand Antoine de Saint-Exupéry. Le nom de ZeKat fait allusion au chat, qui selon la sagesse populaire, « retombe toujours sur ses pattes ». Il s'agit bel et bien d'une métaphore des vicissitudes de la vie des entreprises.
Avez-vous toujours voulu devenir chef d'entreprise ?J'ai toujours été habité par un profond sentiment de liberté. Ce qui peut représenter une exacte définition de l'entrepreneuriat. Pendant mes études aux Arts et Métiers, j'ai créé ma première entreprise de serres d'appartement, avec mon père et mon frère, tous les deux ingénieurs comme moi. Si techniquement nous avons pu être fiers de notre « bébé », nous n'avons jamais réussi à vendre quoi que ce soit, à part à notre cercle d'amis (rires). J'avais négligé la partie commerciale. La technique ne suffit pas.
Au début des années 1990, avec un ami, nous avons créé une entreprise de distribution de cassettes vidéo. Malheureusement la guerre du Golfe a eu raison de notre ambition. L'entreprise a déposé le bilan. Finalement, j'ai rejoint une entreprise technologique dans laquelle j'ai appris la dimension commerciale qui me manquait cruellement. Suivre le célèbre MBA d'HEC m'a permis d'intégrer deux aspects essentiels au développement d'une entreprise : la stratégie et la finance. Finalement j'ai rejoint Sapelem, une PME de robotique de 30 salariés installée à Angers, que j'ai racheté cinq ans plus tard, avant de constituer mon groupe grâce une politique de croissance externe.
A la fin des années 1990 vous subissez deux graves déconvenues ?Oui. Dans les entreprises angevine et mancelle que j'avais rachetées, j'ai été naïf en faisant rentrer un associé par amitié alors que je n'en avais pas besoin. L'association a mal tourné… Sans compter une bataille rangée avec les syndicats au même moment. Cela a été très violent. Nous avons dû déposer le bilan.
ANALYSE - L'entreprise libérée : la gestion RH du Covid chez NicomaticJ'ai dû repartir à zéro et perdu des millions d'euros dans cette aventure. J'ai malheureusement expérimenté les 3 D : dépôt de bilan, dépression, divorce. Cela m'a endurci. Et en 1999, j'ai eu un grave accident de voiture. Je suis resté dans le coma, j'ai frôlé la mort. Je me suis remis de ces deux épreuves. Cela m'a rendu plus fort. J'ai appris qu'on ne vivait qu'une fois.
Comment définiriez-vous votre style de management ?Je fonctionne à la confiance, tout en visant toujours la performance. Je ne revendiquerai pas la notion d'entreprise libérée, mais je la pratique, de fait, depuis vingt ans. Depuis toujours, plusieurs de mes collaborateurs proches habitent dans d'autres villes que le siège angevin du groupe, et sont en télétravail. L'agilité est dans l'ADN de mon groupe. Je préfère onze entreprises, agiles et fluides qui coopèrent plutôt qu'une entreprise monobloc, forcément plus rigide.
Prisez-vous l'esprit start-up pour votre groupe ?Oui et non. J'ai déjà créé et racheté des start-up mais je déplore la vénération excessive dont elles sont l'objet auprès des décideurs et des territoires. Même si le financement de l'innovation est nécessaire, certaines start-up reçoivent, en quelque sorte, de l'argent gratuit. Cela ne favorise pas la responsabilisation entrepreneuriale et génère parfois une distorsion à la « concurrence libre et non faussée » par rapport à des industriels qui travaillent sur ces mêmes problématiques, mais sans subvention !
Vous sentez-vous toujours libre, cet état d'esprit que vous recherchiez à la sortie de vos études ?Pas vraiment. Car du fait de mes responsabilités, je dois assumer de nombreuses obligations. Par ailleurs, fermement convaincu qu'un entrepreneur est un acteur clé dans le bien vivre ensemble, je suis très engagé dans différentes instances patronales et institutionnelles dans la région des Pays de la Loire. Mais j'ai nommé, à dessein, des directeurs généraux autonomes qui possèdent de fortes qualités entrepreneuriales. Ce qui me laisse davantage de temps pour élaborer la stratégie du groupe et pour continuer à rêver, à repousser mes limites, à songer à de nouvelles expéditions… Et à les réaliser !